Le Chant des Sabres (Ozanam, Tentacle Eye - Casterman, collection KSTR) (Chroniques)
Lire la chronique complète
Folie d’un homme, folie des hommes, « le chant des sabres » questionne juste.
Un seigneur chinois entraîne dans sa folie son plus fidèle disciple ainsi que son royaume.
Un couple s’enroule l’un contre l’autre dans une danse d’amour au milieu d’un champ de tournesol. Douce folie jaune lentement tempérée par le rougeoyant soleil du soir.
Lui, So Eyon, est le fidèle bras droit d’un mandarin chinois dont le royaume est en état de déliquescence presque aussi avancé que la tête de son souverain. Fidèle parmi les fidèles et obéissant aveuglément à son maître, il dirige avec fermeté la garde suivant le code de l’honneur des guerriers et ne craint point la mort. Peu loquace, il jouit d’un respect immense autant par son habileté exceptionnelle à manier le sabre que par la peur que suscite le moindre écart de conduite immédiatement sanctionné par sa lame. Elle, Jiang, la femme de So Eyon, ressemble à une jeune pousse insouciante qui cherche le soleil au début du printemps. Son regard innocent est pourtant bien sombre et cache une folie qu’elle a toute les peines du monde à dissimuler.
Mais la danse onirique des deux papillons dans leur champ de fleurs ne dure pas. Le seigneur Fu Shu-Ing fait appeler So Eyon et le ramène à la triste réalité d’une Chine qui perd la tête dans les vapeurs d’opium que la perfide Albion lui impose. La révolte des Taiping gronde et le général Xao Paï marche déjà à la tête de 500 hommes sur le seigneur fou qui ordonne à ses hommes de combattre à l’aide de courges et de bambous. Même le plus valeureux des guerriers, armé de la cucurbitacée la plus gouteuse, ne peut espérer accomplir de miracle. La lutte est inégale, surtout quand son entourage manigance. Trahis, le guerrier se retrouve à errer tel un spectre, seul, sans sa belle. Celle-ci n’a un sort guerre enviable puisque sa folie aura finalement le dessus sur toutes ses longues années de détermination. Mais les belles histoires ont toutes une fin heureuse et le lien occulte qui relie le couple singulier leur permettra de vivre pleinement leur folie, à deux cette fois.
Après l’excellent « King David », Casterman, à travers sa collection KSTR, nous sort à nouveau un petit bijou digne de figurer sur les meilleures étagères. Sous la baguette d’Ozanam, encore lui, c’est cette fois Tentacle Eye qui est au pinceau et qui fait des merveilles. Qu’elles soient de terreur, de bonheur ou de folie les atmosphères sont superbement retranscrites par des pages entièrement brossées dans les mêmes teintes rouges, bleues ou vertes. La maîtrise des cadrages n’a d’égal que le découpage des cases ou plutôt l’équarrissage des cases devrait-on dire, tant elles sont taillées d’un coup de sabre leste. Cette virtuosité distillée avec habileté contribue tantôt au renforcement des émotions qui transpire des pages, tantôt à leur dissimulation. Du grand art.