Areski Fontaine
le bonheur 1975
Dans les forêts, dans les villes en braise rouge au dessus de la mer, sur les collines parfumées, vivait une belle bête fauve et chaude qu'on appelait le bonheur.
Partout elle bondissait, elle riait dans la nuit, partout elle dansait avec le feu et chantait avec les loups. Cela se passait dans aucun temps particulier car le temps voyez vous est une chose mystérieuse. Cette bête mangeait tout ce que les gens lui donnaient, elle se laissait traire par eux, elle les pénétrait de son rameau doré s'ils le désiraient et elle faisait de la musique avec leurs veines et leurs cheveux.
Pourtant il y en eut quelques uns qui la détestèrent parce qu'elle les empechait de régner, et que, étant libre et gratuite, elle cassait le marché. Alors un jour ils vinrent avec des armes ils la capturèrent et l'enfermèrent trés loin dans une cage. Cela se passait dans aucun temps particulier car le temps voyez vous est une chose mystérieuse.
Pour que les gens ne se révoltent pas, ils fabriquèrent d' innombrables copies de la bête. Pour qu'ils en soient dégoutés, qu'ils n'y comprennent plus rien et qu'ils l'oublient, ils la firent bien mauvaise. La fausse bête se mit à roucouler, à jouer au bridge, à vendre le soir dans les rues ses tristes appas, à chanter des operettes et à porter des rubans roses comme on en met dans les cheveux des petites filles pour les empêcher d'être ce qu'elles sont elles même: des grandes bêtes chaudes et fauves.
Les gens devinrent amers et tristes, ils ricanèrent, s'empiffrèrent de gâteaux, se tapèrent dessus avec rage et beaucoup se moquèrent du caniche appelé bonheur, de la perruche appelée bonheur.
Puis ils oublièrent le Bonheur comme c'était prévu dans le plan, excepté quelques uns que l'on mit à l'hopital. Pourtant dans les yeux de tous les bébés, on peut voir se refléter l'image de la terrible bête, et il paraît que sa chaleur en vérité est telle que les barreaux de sa cage sont en train de fondre, là bas, trés loin où les soldats l'on laissée.
J'ai rencontré une vieille dame qui n' espérait plus la voir arriver de son vivant, mais, me dit elle, << je sais qu'elle existe, et, aprés tout, c'est l'essentiel >>.
Comme elle allait bientôt mourir, elle ne pouvait pas mentir.
C nior