J'avais une tirelire autrefois, bien remplie
de pièces si lourdes qu'on n'osait les toucher.
Grand-mère chaque année les choisissait jolies,
et le cochon vernis les avalait, tout fier.
La fortune amassée était mystérieuse,
il était interdit de déplacer l'objet.
Quand je le regardais, comme lui, malheureuse,
j'avais dans le ventre le poids de sa monnaie.
Lors, pour nous soulager de cette indigestion,
je remuais un peu la cagnotte fébrile
qui faisait dans mes mains une jolie chanson,
puis je glissais mes doigts sur la fente immobile.
Le cochon souriait, content de n'être pas
un morceau de jambon dépecé dans l'assiette,
ni un pauvre jouet défraîchi, posé là,
au milieu des poupées fières de leurs toilettes.
Après combien de temps eut-on enfin le droit
de dépenser ces sous, je n'en ai pas mémoire,
mais il fut douloureux, pour avoir fait ce choix,
de perdre ce sourire, et l'argent était noir...
Depuis ce jour fatal, j'ai préféré garder,
plus que trésors clinquants, les sourires offerts
au détour du chemin, et les amitiés
qui ne périssent pas au début de l'hiver.
2009
M.KISSINE
http://m.kissine.free.fr/alias chricaillou