C'est à rêver debout... Connaissez-vous l'histoire
Du bel au bois dormant ? Venez tout près de moi
Je vais vous raconter, quand la nuit sera noire,
Ce conte merveilleux qu'il faut garder pour soi.
D'abord, il faut savoir que j'étais un oiseau,
Oiseau-lyre éclatant, j'étais une hirondelle,
Tout dépend de l'endroit : Les contes tropicaux
Ont la folie qui rend les histoires si belles.
La terre était verte le jour, et le soir, bleue,
C'était, il faut le dire, une beauté intense
Que les grandes forêts pleines de chants joyeux
Où dormait un seul homme, un miracle, je pense...
Il était le premier, l'unique, solitaire,
Le bel au bois dormant, oui, s'appelait Adam,
Il sommeillait toujours, dans la grande lumière,
Depuis plus de mille ans, n'est-ce pas amusant ?
Son corps abandonné au bord d'une rivière
Etait celui d'un dieu, je vous en fais serment,
Je les connais un peu, leur gloire est éphémère
Et leur beauté parfois s'abîme avec le temps...
Tous les soirs je venais près de lui, en cachette,
Mes plumes légères glissaient sur sa peau nue
Le premier toboggan, le premier goût de fête,
Je les ai inventés sur Adam l'ingénu...
Comme c'était charmant, les vagues de son coeur
Sous mes pattes menues, et puis, avec mes plumes,
Les petits frôlements bannis par la pudeur !
J'étais au paradis que le plaisir parfume...
Un soir, tout à coup, mon merveilleux dormeur
Fit quelques mouvements d'une parfaite grâce.
Il rêvait, c'est certain, et, sur un ton charmeur,
Il appela la lune illuminant l'espace.
Ses yeux s'ouvrirent, clairs comme l'eau scintillante,
Je m'écartai de lui pour, au mieux, observer
L'éveil exubérant, la passion délirante
Du bel au bois d'antan qui se mit à parler :
« Oh mon bel ange blond, pose-toi dans mes mains,
(Il entourait la lune et dansait avec elle)
Laisse-moi caresser le satin de tes seins :
J'ai tant d'amour pour toi, ô ma tendre gazelle ! »
J'écarquillai les yeux, mais ne vis point de femme,
Si Adam n'eût été l'unique, le premier,
J'en aurais accusé quelque sorcier infâme
Mais, las, il n'y avait que mon seul bien-aimé
Qui parlait à son rêve en regardant la lune.
J'avais peine à le voir, pauvre amour attendri,
Murmurer vers le ciel sa terrible infortune.
Je vins à son secours, et doucement, lui dis :
« Enfin tu viens à moi, ton sommeil est fini,
Depuis longtemps je chante, aussi fort que j'espère.
Pour toi, qui m'aimes tant, l'oiseau doux de tes nuits
Prend la forme et l'esprit de la femme première. »
(Car j'ai, comprenez-vous, le don de la magie...)
Je devins ce présent que l'homme nu vénère
Depuis la nuit des temps, l'oiseau de paradis...
Je devins cette femme à qui Adam sut plaire.
Point de côte brisée ni de serpent fatal,
Je vous le dis tout net, c'est moi, l'oiseau de vie,
Qui éveillai les sens du plus bel animal,
D'un sommeil de mille ans, de songes tout empli.
©M.KISSINE