Psychose Le coup sec sur le carreau le fit sursauter. Une brèche dans le silence de cette nuit là où germent dans son esprit l’envie d’en finir avec sa solitaire solitude. Il avait passé tout son temps à fixer les éclats de lueur du chêne se consumant dans l’antre de la cheminée. La chaleur exceptionnelle en ce début d’automne ne parvenait pas à le réchauffer et il s’était blotti dans la chaise à bascule, engouffré dans un chandail au col remonté jusqu’à la bouche où pendait une pipe éteinte. Un verre d’eau de vie à la main, le regard fixe, aucune organisation mentale ne lui parvenait. La sueur lui perlant le front, ne rassemblant pas ses idées, l’angoissante certitude d’être désorienté l’envahissait lentement. Attiré par le vide, il se pencha en avant tout prêt de la flamme du feu, tourna lentement la tête vers ce bruit incongru qui lui était parvenu de la fenêtre, plissa les yeux comme pour mieux entendre. Un deuxième coup plus violent le fit bondir hors du rocking-chair. Il plaqua sa main à la vitre au moment même ou une masse noire y venait s’écraser, puis glisser le long du carreau dessinant une coulée pourpre. Les yeux exorbités, pétrifié, il se mit à convoiter l’idée que la masse allait s’adresser à lui, lui qui n’avait entendu aucune vocalise depuis la nuit des temps. La masse se posant avec douceur sur le rebord de pierre, lui apporta l’apaisement. Il pouvait s’en retourner à son immobilisme et tenter de rassembler ses idées et calmer cet accès de panique qui lui était familier. Après tout ce n’était pas un être dangereux qui était venu à lui. C’est du moins ce qu’il en conclu. Mais un grincement sourd venu de par son dos le fit tituber, il en perdit l’équilibre, tomba sur les genoux. Voulant hurler sa peur, il ouvrit la bouche, sa pipe s’en échappa, au son d’une balle en bois rebondissant sur le sol carrelé.
- Mais qu’as-tu Paul ? Ce n’est que moi !
- Un corbeau venu s’écraser sur la vitre…
Cécile entra dans la pièce avec précaution. Son frère n’avait eu que quelques minutes de conscience en réalisant que sur la fenêtre n’était venu s’écraser qu’un volatile attiré par la chaleur et la luminosité de la cheminée. Il était reparti dans un autre monde, ce monde ou nul autre que lui ne pénétrait. Et s’il s’enfonçait trop dans sa folie, elle devra garder tout son calme, avancer à pas feutrés, ne faire tinter aucun objet, susurrer ses propos, maîtriser sa peur pour ne pas réveiller en lui le démon d’une féroce agression. Une grave erreur que vouloir l’écarter de ses oracles et tenter de le ramener à la réalité. Accepter ses mots et ses maux, sans mot dire. Le Docteur Barcks avait fortement conseillé l’internement mais elle peine encore à signer le document qui mènera son frère à l’enfermement pour toujours entouré des psychopathes les plus dangereux du pays. Elle se déchaussa de ses talons aiguilles, pieds nus s’avança vers la table qui servait de bureau à son frère ce dans l’intention d’y mettre un peu d’ordre. A ses multiples écrits griffonnés sur des feuilles éparpillées se mêlait le linge qu’elle avait lavé et repassé la veille, le pot à tabac renversé, une assiette salie du repas de la soirée, C’est lorsqu’elle s’abaissa pour saisir le peignoir de bain tombé au sol, qu’elle avisa une feuille kraft. S’abaissant tout en observant son frère resté silencieux auprès de la cheminée, accroupie en douceur elle se saisit du document et lu :
Galaxie en bulle
Abnégation jusqu’à l’incarcération
A mon entité procurerai toute ration
La psychose seule sera le doux gouffre
De mon trop déchaîné et ultime souffle
A mon architecturale croyance obstinée
Ferai captive mon impitoyable destinée
Pourfendre les affligeantes viles geôles
Affranchir les prestigieux axiomes fols
L’audace d’une ferme galaxie irrévocable
Bulle d’or d’analyses en pépites de sable
Vision psychédélique sur le monde morose
Pétales d'esprit goulûment ombres roses
Giflement fou du temps verbe et voyance
De l’existence peu m’importe votre croyance
La rapsodie qui m’enivre est votre panique
La fêlure habite mon suaire d’entité unique.
C’est à se moment de lecture qu’elle aperçu une ombre sur le carrelage de marbre. Elle releva lentement la tête, tout en écartant sa chevelure épaisse de son visage, ce qui fit découvrir ses yeux exorbités par la frayeur. Son frère se tenait devant elle, un pied retenant un pan de sa jupe en coton, un poignard à la main.
- Personne ne touche à ma bulle galactique, c’est la masse qui l’a dit !
D’un coup sec il enfonça le poignard dans la poitrine de sa sœur.
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