Les Têtes
Lentement ils enfilèrent manteaux et écharpes. Il était temps car au dehors l'automne ralentira leurs pas. Quelques moineaux restés perchés sur les branches de leurs frottements d'ailes déshabillaient les arbres des quelques feuilles pourpres restées accrochées. Le ciel plombé et grisâtre semblait accompagner le cortège. Un sanglot étouffé parmi eux ne fit même pas tourner les têtes, tant ils étaient dans leurs propres hébétudes.
La porte claquée, ils s'enfoncèrent dans la ruelle sans même prêter attention aux notes maladroitement jouées sur un piano par une main inexpérimentée. Seuls les bruissements de leurs pieds traînés sur le pavé troublaient leur morbide silence. Rejoignant le boulevard, une foule dense se jeta sur leurs gorges serrées. Bruyante, bigarrée, cette multitude dont ils faisaient habituellement corps les effrayait ce matin là.
Passé le marché couvert où vendeurs et acheteurs se récriaient joyeusement, passée la fleuriste Margot, d'où émanent toujours les délicieuse odeurs de fleurs fraîches et fanées entremêlées, ainsi que le café Des Potes, bruyant de ses disputes et réconciliations habituelles, ils s'engouffrèrent têtes baissées dans la contre allée du parc. Le vent glacial venu du nord qui prenait ses forces le long du mur de l'enceinte leur fouettait les visages. Ils s'en approchaient de ce maudit portail de fer forgé... l'un d'entre eux, après une courte hésitation, se poussa l'épaule pour prendre l'élan nécessaire à l'ouverture du lieu. Le grincement provoqué leur fit sursauter les têtes, tourner les autres têtes déjà là avant eux.
Comme pour en imposer et se faire oublier leur retard, ils se serrèrent les uns contre les autres. C'est tout juste à ce moment là qu'ils furent foudroyés dans leurs têtes par la douce voix enfantine qui mal déclamait, pauvre innocente:
« de ta vie tu nous as enchantés
de tes émotions nous as envahis
reste photo pour te sentir vibrer
ainsi Dieu a voulu ta vie »
Les têtes rapidement quittèrent le lieu....
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